Avec
Janis, on forme un joli couple de putes. On voyage à travers la France pour
accueillir les clients dans nos donjons improvisés -des locations transformées
en bordel pour quelques jours.
Notre
truc, c'est la domination, aussi bien physique que cérébrale. La plupart de nos
clients sont des soumis, des masochistes, ils viennent nous voir pour des
sessions d'une heure ou d'une nuit. On explore avec eux des jardins de douleur
et d'amour, d'urine et de sang, de tendresse et de merde, on sillonne ensemble
des forêts aux limites incertaines, des sentiers qui bifurquent sur des massifs
lointains, où s'élèvent des palais de désir et des châteaux en ruine, des
serres étincelantes entourées de villas effondrées. Les contours de nos
expéditions sont souvent flous, les chemins ne sont jamais balisés. On doit se
repérer sans carte ni boussole et se fier à notre intuition. On frôle parfois
des ravins, des précipices, et on découvre dans des landes arides des vestiges
enfouis sous les pleurs. Nos clients se mettent alors à trembler, et viennent
se consoler dans nos bras accueillants.
La plupart
du temps, on travaille seul, chacun de notre côté, mais l'autre fois, à Lille,
on a reçu un maso pour le dominer ensemble. Nos gestes s'accordaient avec
évidence, ils s'articulaient et se répondaient à la façon d'une partition. Nos
lignes mélodiques, bien que distinctes, se superposaient comme une polyphonie.
Tandis que je serrais son cou avec mon avant-bras, et que je contrôlais sa
respiration à l'aide de mon poing enfoncé sur son visage, tout en comprimant
son thorax avec le poids de mon corps, Janis lui cognait la bite et les couilles
jusqu'à le faire jouir.
Le
lendemain, un client est venu avec une demande plus particulière. Il voulait
qu'on se moque de la taille de sa bite, qu'on la rende risible et ridicule. Il
portait fièrement une cage de chasteté qui écrasait lourdement sa verge, dans
l'espoir qu'à force d'être compressée elle puisse rétrécir. On l'a enduite du
gel hydro-alcoolique qu'il avait apporté, avant de malmener sa bite brulante et
désinfectée à coups de pieds, pour finalement prendre le thé tous ensemble à se
parler de nos vies comme des vieux copains.
Janis est
une pute passionnée. Appliqué comme un ecclésiastique, il ne compte pas les
heures passées avec ses soumis. Il aime donner du plaisir, et sait s'adapter
aux désirs les plus saugrenus. Sa perversité est immense. Quand il ne travaille
pas, il invite des mecs pour des tunnels de baise de plusieurs jours, ou sort
en ville pour draguer des nuits entières dans les parcs et jardins. C'est un
ogre solitaire et déclassé, maladroit et triste, capable d'ouvrir des mondes de
démesure et de permission, des villes de fantasmes bordés de rivages abandonnés,
des décharges endormies sur des champs d'amour et des chapelles lumineuses sur
des terres libidinales, où l'on vient se recueillir, se réconcilier dans la
ferveur du soir, et bander dans la prière.
L'aventure
que je vais vous raconter commence à Paris, rue Notre-Dame de Nazareth, dans un
immense duplex réaménagé en maison close. J'arrivais depuis Marseille, porté
par l'été et l'excitation de rejoindre Janis. Quand j'entre dans le palais, il
était déjà au travail, en pleine session fist dans l'une des chambres, tandis
qu'un gars, assis dans le salon, attendait son tour. Dans un désordre de
seringues, de chaînes, de pince-tétons, de martinets et de pots de lubrifiant,
trônant sur une bibliothèque en trompe l'œil, je remarque un bidon d'un litre
de GHB et une bite en silicone à la taille monstrueuse. Tous ces accessoires étaient
un monde encore inconnu pour moi. Dans mon sac, j'avais juste apporté mes
cannes en bois et quatre cordes. Je sentais que ce voyage allait être
initiatique.
Le
lendemain aprem, Janis me propose un slam de 3MMC. C'est une première pour moi.
Dans notre travail, beaucoup de clients nous demandent de les injecter et de
gérer leur consommation à leur place. Je voulais qu'il m'apprenne. Il me montre
avec parcimonie toutes les étapes, du mélange de la poudre dans la coupelle
jusqu'à la façon d'orienter le biseau de la seringue pour viser la veine. La
défonce vient instantanément, je sens mon corps vague se dissoudre et pétiller
comme un cachet effervescent. Je m'allonge sur le lit et observe religieusement
Janis s'injecter à son tour.
Il ouvre
l'ordi pour m'inviter dans ses chambres virtuelles, un espace où des mecs, tous
perchés, s'exhibent devant leur cam. Je suis absorbé par ces corps hallucinés,
cette famille de branleurs cosmopolites, reliés les uns aux autres comme une
constellation qui flotte dans la nuit du web. Toujours devant l'écran qui nous
regarde, Janis sort sa corde, pour l'enrouler avec dévotion autour de mes
couilles, de ma bite molle et mouillée, je sens qu'elle déborde et se détache
de mon corps, lourde et saillante, capturée sur la toile.
Quelques
jours plus tard, avant de quitter Paris pour rejoindre Lille, on décide de
passer la nuit au jardin des Tuileries. Janis portait son poids d'un kilo
attaché aux couilles, qu'on voyait vivement dépasser et bouger à travers son
jogging quand il marchait. Sur le parvis minéral du Louvre, notre route sonnait
comme une procession grave et silencieuse.
On arrive
au jardin, et s'engouffre progressivement dans un labyrinthe de haies taillées
en rectangles, bordées par des rangées de colonnes blanches et des façades aux
fenêtres closes et impénétrables. Les massifs de tilleuls sont ordonnés en
topiaires, et forment un paysage géométrique, contraignant les corps dans une
perspective froide et sans émotion. Pourtant, c'est bien là qu'on défile pour
décharger face à la pyramide de verre, qu'on s'aime et s'encule au bord de la
nuit pour ouvrir d'autres mondes à venir.
C'est un
véritable écosystème d'ifs et de boue, de salive et de foutre, se déployant en
miroir sur deux parties, et reliées par l'arc de triomphe du Carrousel. Par
endroit, des escaliers mènent à des sous-sols, des alcôves souterraines qui, de
loin, apparaissent comme des trous noirs opaques, des tunnels vers des enfers
incertains. Dans l'obscurité, on doit s'approcher des mecs pour les distinguer,
on s'engage à l'aveugle et on se fiance. Pour se lier à la nuit, on boit le G
dans une bouteille d'Orangina, et avale les paras de 3, avant de s'aventurer sous
terre pour entrer dans la noce. J'observe Janis se faire niquer bareback par
une communion de bourgeois et de clochards, reliés par la même passion du
foutre, venus déverser ce soir un torrent de tristesse dans le cul consolant de
Janis, cambré sur le mur comme une mater
dolorosa.
Tandis que
je regardais la scène avec attention, un gars déboule brusquement de
l'escalier, pour me foutre des baffes et me cracher au visage. Ses tentatives de
me dominer, bien que maladroites, me fout le barreau direct. Il gémit en boucle
des "ah" et des "hein" idiots, en frottant frénétiquement
son entrejambe gonflé contre ma joue. Sa bite bête et baveuse, longue et pale,
m'excite. Je la glisse toute crue entre les lèvres, dure comme un os, ronde
comme une carpe, et je sens ses beaux yeux stupides me fixer avec l'insolence
et la douceur d'un enfant.
La ville
bande.
Les
façades massives du palais du Louvre cadrent nos scènes comme un décor de
théâtre. J'aperçois le haut des colonnes, orné de feuilles d'oliviers, et surmontés
d'oves et de volutes, des frises de rameaux de chênes et de lauriers, des
festons de fruits sur des puttis célestes,
décorés de fleurs de lis au feuillage qui prolifèrent, et des rangées de
Caryatides sur des colonnes en marbre rouge griotte.
Dans les tympans surgissent des têtes
de faunes et de faunesses nouées à des oliviers, la tête de Diane cerclée par
des lions et des satyres aux barbes d'acanthes entrelacées. Sur les murs, je
devine des bandeaux organiques recouverts de pores et d'alvéoles, comme si des
vers avaient travaillé la pierre.
Derrière
les baies opaques, j'imagine les tableaux se succéder dans les couloirs du
musée, comme des fenêtres ouvertes sur des collines tendres bordées de massifs
bleu-vert, sur des villes blanches et des citadelles qui fument, sur des
falaises abruptes où apparaissent des visages d'ermites et de vieillards.
Dans notre
jardin à nous, les clairières, les demis chemins, les coins, les angles, la
distribution des sous sols et leur profondeur se prolongent depuis nos corps
ravis. La drogue monte. J'avance les yeux fermés, porté par un sentiment
d'étrange familiarité, comme si je connaissais cet endroit depuis toujours.
On
s'enfonce dans le Carrousel du Louvre. Sur les escaliers, Janis sort son
matériel pour s'injecter de la 3, puis s'encorde le corps devant les caméras
qui nous surveillent. Il enroule la corde autour de ses couilles et forme un
système de nœuds complexes qui coulissent entre son ventre, sa bite et sa
nuque. Immobile, capturé dans son propre piège, le corps tendu dans la lumière
striée du grillage, les yeux concentrés, Janis est au bord de l'extase devant
les quelques spectateurs intrigués. Il propose de m'encorder à mon tour mais,
réalisant notre défonce, on décide de remettre ça à plus tard. Cette entente
tacite nous liait davantage.
C'est déjà
l'aurore, le jardin s'éclaire sur un ciel diaphane et flou, encore chargé des
promesses de la nuit. Dans la lumière vague, nos corps évanescents pétillent
joyeux sur le palais du Louvre, le long des coursives fleurdelisés et des
modillons à tête de faune que soutiennent les corniches. Je trique fort dans
mon short rouge, prêt à bondir sur les moulures cannelées des architraves et
sur les pilastres qui débordent des murs.
Pour
prendre de la hauteur, j'accède au centre du labyrinthe et grimpe à un tilleul.
Les jambes enrobées autour d'une branche, le corps allongé en surplomb, j'observe
de haut les garçons nichés dans les coins qui se draguent et, plus loin, la
ville basculer dans le jour, les premiers travailleurs s'activer, j'imagine des
odeurs de lessive, de café et de foutre de la veille coincés dans leurs habits
propres.
Un gars s'approche
de l'arbre, avec des yeux obscènes et la mine délirante, le survêt chargé de
branle. Il lève le bras pour atteindre mon cul et me foutre des doigts, tandis
qu'il se touche le paquet tendu sur le tilleul. J'aime ce qu'il fait, je
balance mon cul en équilibre pour l'aider. Je regarde sa main brutale et
décidée presser le paquet de son froc sale tandis qu'il enfonce ses doigts plus
profondément dans mon cul. Je devine dans son slip sa bite serrée, humide et
hallucinée au bord de l'orgasme qui goutte à travers son jogging raidi sur le
tronc. Je sens ses doigts plein de ville et de nuit se répandre en moi, couler
sur mon corps de tilleul, ils creusent des grottes de fougères et ruissèlent
comme des fontaines, intarissables. Puis, brusquement, il sort sa bite pour
décharger en grognant des jets de foutre sur l'écorce avant de
disparaître.
Les rayons
du soleil traversent les haies, et jettent ça et là dans les coins des tiges de
lumière chaude pour éblouir le visage des derniers branleurs.
Au bout
d'une allée, dressé seul au dessus des topiaires, un mec me regarde, immobile.
Je descends de l'arbre pour me joindre à son jeu nuptial. Ses yeux humides et
joyeux coulent sur mon visage. Il sort de sa poche une petite brosse en bois
pour me caresser la barbe. Je voudrais qu'il m'épouse. Je glisse ma main dans
son jean, et découvre un lourd morceau soyeux et mou, épais et massif, que
j'apporte à ma bouche heureuse et fatiguée, éclairée par le soleil jaune qui
grossit.
Les
façades du Louvre, dures et blanches, se détachent du bleu du ciel, et
déroulent ses grands frontons triangulaires et cintrés au dessus des travées.
Nos corps radieux débordent sur la ville estivale.
Dans la
transparence d'une haie, j'aperçois Janis qui avait disparu depuis la scène du
Carrousel. Il me jette un sourire complice. Je viens à lui, et le défroque pour
engouffrer sa bite douce et solaire qui glisse au fond de ma gorge comme un
galet chaud. Á l'instant même où je m'appliquais à
genoux dans mon carré d'ifs et de soleil, un groupe de huit policiers surgisse soudainement
de nul part pour nous encercler. Je mets quelques secondes à réaliser leur
présence, encore absorbé par la bite matinale de Janis. Plongé dans le
labyrinthe, j'oubliais le monde extérieur, la bienséance, la capitale, les
bandes de touristes et de familles à poussettes qui inonderont bientôt les
quais et les trottoirs.
Les
policiers nous demandent ce qu'on fait, à quoi Janis leur réponds, calmement, qu'on
se drague entre copains, que c'est notre façon à nous de nous séduire et qu'il
n'y a pas de mal à ça. En contrôlant nos identités, ils nous rappellent les
règles de la pudeur sur l'espace public, que des enfants pourraient nous voir. Ils
nous demandent de vider nos sacs. Ils découvrent alors tout notre attirail de
la nuit se répandre sur le sol, un bordel d'aiguilles, de seringues, les
flacons de G, les pochons de 3, et nos corde blanches pleine de pisse. Ils nous
interrogent sur l'usage de ce matériel qu'ils ne semblaient pas connaître.
Janis leur explique, d'un ton posé, qu'on utilise les cordes pour la pratique
du bondage et que la 3 et le G sont des stimulants sexuels, fréquemment
consommés dans nos milieux.
Je me
voyais passer la journée au poste, ils nous ont pourtant laissé partir comme
si, à force de patrouiller tous les matins pour chasser les branleurs et fermer
la nuit dernière eux, ils finissaient par faire parti du jeu.
La ville
se dilate sur nos corps défoncés sur le trottoir chaud. On s'écarte des
enceintes du Louvre, pour gagner la rue de Rivoli. J'attrape amoureusement le
bras de Janis, il me raconte son cul encore rempli du foutre des gars de la
nuit. On se dirige vers la gare, notre train pour Lille est dans quelques
heures et les clients nous attendent déjà.
Poème paru dans Trou Noir, le magazine des dissidences sexuelles :
http://trounoir.org/?Quand-la-ville-bande
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