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San Francisco Porn Film Festival

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 (ENG version bellow)

A l'occasion du San Francisco Porn Film Festival, j'ai visionné une vingtaine de courts métrages, narratifs ou plus expérimentaux, qui m'ont fait forte impression.

Le porno indépendant a connu une situation particulièrement précaire en France cette année. On se souvient de la loi haine, aka la loi Avia (heureusement invalidée par le conseil constitutionnel). Elle visait à lutter contre les contenus haineux en ligne, à  renforcer le contrôle de l'accessibilité des contenus porno aux mineurs, à demander aux hébergeurs de supprimer dans l'heure les contenus jugés "problématiques", sous peine d'une lourde amende. Ces mesures n'étaient applicables qu'au moyen d'algorithmes, et auraient surcensuré nos comptes TDS insta, twitter ou fb, déjà régulièrement signalés et  clôturés.

En filigrane, cette loi présuppose que le porno aurait un effet néfaste sur ses spectateurs, et serait en parti responsable des violences faites aux femmes. "Le porno traumatise", "le porno a une mauvaise influence", "le porno renforce la société patriarcale". C'est un vieux débat,  qui date au moins depuis les années 70, où, aux Etats-Unis, le mouvement Women Aginst Pornography tentait de prouver une telle causalité en s'appuyant sur les théories behaviouristes alors à la mode.

En réaction à ces théories simplistes, les porn studies ont proposé un appareil critique plus nuancé en étudiant de prés toutes les formes de pornographie, sans jugement moral.

Par exemple, Laura Kipnis, dans une anthologie des porn studies dirigée par Floriant Vörös, dit très justement que " le stéréotype du consommateur de porno est une projection fantasmatique des peurs des classes supérieures sur les hommes des classes populaires : brutaux, bestiaux, et avides de sexe."

Dans la condamnation du porno, il y a du mépris de classe, mépris du spectateur populaire qui serait dénué de libre arbitre et de réflexivité. D'ailleurs, on l'appelle consommateur, et non spectateur, comme s'il n'était qu'une simple machine réceptive, sans capacité de juger, de prendre une distance critique. Or, je crois que la construction de nos imaginaires érotiques, de nos fantasmes, est beaucoup plus aléatoire et fragile qu'une simple réaction aux objets porno.

"La pornographie ne reflète pas plus le monde réel qu'elle n'est un appel hypnotique à l'action. Le monde de la pornographie est mythologique, hyperbolique, peuplé de personnage. C'est un monde qui n'existe pas et n'existera jamais,  mais il revendique le droit d'un espace consacré au fantasme".

Portés par un féminisme pro-sexe (à comprendre la sexualité consentie comme outil d'empowerment), regroupant notamment les putes, les séréropos, les queers, les cercles bdsm, les pornstudies ont tenté de concevoir la pornographie comme un objet culturel aussi légitime que les autres. Dans cette mouvance, on a commencé à produire un porno engagé et militant, un porno politisé qui questionne les normes (aka le postporn).

J'ai l'impression qu'aujourd'hui, le paysage de la pornographie est scindé en deux : d'un côté, le bon porno alternatif, artistique, scolaire et engagé, qu'on regarde dans les cinémas d'art et d'essai entre queers 3.0 et universitaires, et de l'autre le porno mainstream de mauvais goût, misogyne, hétéro cis blanc, pas digne d'une critique sérieuse, celui qu'on regarde dans les cinémas porno glauques et sales.

Moi, je n'ai pas envie de me positionner. Le porno n'a pas à être moral, ni exemplaire. Laissons les cours d'éducation civique se charger de ça. Le porno ne peut se résoudre à la reproduction idéologique du patriarcat, à la misogynie, à la décadence sociale, ou, au contraire, être un simple manifeste politique, une dissertation anticapitaliste, un message transitif. Le porno a un réel pouvoir expressif. Son pouvoir réside autant dans le fait de choquer, de marquer, de transgresser de déplacer les regards, de fendre les yeux, que d'accompagner, de pousser à l'action, d'inspirer, de donner envie. C'est ainsi que le porno pourra révolutionner nos imaginaires. 

Le porno est pluriel, et la diversité des films que j'ai vu au San Francisco Porn Film Festival m'a ouvert à de nouvelles façons de raconter, de mettre en scène nos sexualités J'ai ressenti beaucoup d'émotions différentes, comme de la tendresse, de l'amour, de l'excitation, de la tension.

Into the Flesh de Montiel apparaît de prime abord comme un film hétéro assez conventionnel. Pourtant, le jeu des couleurs chaudes et des sons corporels en font un film très tendre, et finalement plutôt excitant. On arrive bien à se projeter dans la complicité du couple, dans leur douceur, parce que la musique ne prend pas trop de place (j'ai vu certains films où la musique recouvre, étouffe les corps, et empêche de se projeter dans leur intimité).

Dans The abduction of Evalina de Jaysen Drake, il y a beaucoup d'émotion dans l'interaction des deux protagonistes. Des scènes d'étranglement ou de pénétration sont entrecoupées de scènes de rire, comme on en voit peu. Et le moment où iel lui bouffe le dicklit est magique.  

Le film d'Ivan Sobris, drawing nudes, présente la même tendresse, la même bienveillance. River Wilson s'exhibe et se branle devant un garçon qui lui dessine le portrait.  Il y a de la vérité dans ce film, quelque chose de très réel, et beaucoup de romance en même temps.

Side of a lake, de Paul Stümke nous plonge dans le paysage sonore d'une forêt à la fin de l'été, où trois personnages se masturbent à différents endroits au bord d'un lac. C'est un conte pastoral, version gouine, qui sonne comme un récit fondateur. ça me rappelle un peu les films de Cadinot, et ses scènes de campagne qui dérapent.

 

La présence du paysage est aussi très marquée dans le magnfique Paisa de Graham Kolbeins (visible gratuitement ici : grahamkolbeins.com/dorian-wood). C'est un chant d'amour très délicat, qui mêle des scènes botaniques dans les oliviers et les ricins, à la tendresse infinie de deux corps qui se caressent (Dorian Wood et Manuel Rodrigues). C'est très émouvant.

Dans la série des porno-paysages, il y a aussi Pansexual Public Porn de Del lagrace volcano, tourné en 1998. Avec son ami transgenre Hans Scheirl, iels s'adonnent à des scènes de sex hard dans différentes zones de drague en extérieur au Royaume-Uni, comme un parc à Londres, ou des dunes. Ces espaces de cruising sont des lieux d'émancipation, d'ouverture et de liberté -des petites utopies où tous les genres et les sexualités se mêlent. ça sonne comme un film de vacance.


 

Je retiens également Robert + Dylan de Dylan meade, où, au début du film, un handicapé moteur (joué par l'activiste et scénariste Robert Softley Gale) mate tranquillement depuis sa chaise roulante un mec en train de pisser, et finit par le sucer. Une des scènes les plus excitantes du festival.


Enfin, j'ai été particulièrement marqué par deux films. Shattered de Salty Cheri et Tape Loop de Doxytocine et Theo Meow.

Shattered met en scène les actrices Manon Praline et Caritia dans un jeu de domination autour des ampoules. C'est à la fois sobre, sincère, et très maîtrisé. Les ampoules créent une tension immense : elles se brisent, se gobent, s'écrasent, on redoute le moment où elles éclatent. Il y a une complicité immense entre les deux actrices, presque vertigineuse : on se demande vraiment jusqu'où elles vont mener leur jeu. 


Tape Loop est le film qui m'a le plus impressionné. Une femme suit les instructions d'une cassette qu'elle a trouvé dans une enveloppe. Elle s'adonne alors à une forme de session s/m en solitaire, en suivant les ordres qu'elle entend dans la machine, comme sucer profondément le goulot d'une bouteille de vin, après l'avoir bu en entier, ou s'étrangler avec ses collants. Ce film me fascine, et m'effraie en même temps. 



 

Si vous désirez voir ces films, et les autres que je ne cite pas :

pinklabel.tv/on-demand/?genre=best-of-san-francisco-pornfilmfestival%2F

Je ressors de ce festival avec la foutreuse envie de continuer à tourner, à déployer des imaginaires,  à expérimenter. Je remercie infiniment l'équipe du festival. 

 

ENG :

At the San Francisco Porn Film Festival, I watched about twenty short films, narrative or more experimental, which made a strong impression on me.

Independent porn was particularly precarious in France this year. We remember the "hate" law, aka the Avia law (fortunately invalidated by the constitutional council). It aimed to fight against online hate content, to reinforce the control of the accessibility of porn content to minors, and to ask hosters to delete within the hour the content deemed "problematic", under penalty of a heavy fine. These measures were only applicable using algorithms, and would have overcensored our TDS insta, twitter or fb accounts, which are already regularly reported and closed.

This law presupposes that porn would have a harmful effect on its viewers, and would be partly responsible for violence against women. "Porn traumatizes", "porn has a bad influence", "porn reinforces patriarchal society". This is an old debate, dating back at least to the 1970s, when the Women Aginst Pornography movement in the United States tried to prove such causality by relying on behaviorist theories.

In reaction to these simplistic theories, porn studies proposed a more nuanced critical by closely studying all forms of pornography, without moral judgment.

For example, Laura Kipnis, in an anthology of porn studies edited by Floriant Vörös, rightly says that "the stereotype of the porn consumer is a fantastical projection of upper-class fears about working-class men: brutal, bestial, and sex-hungry".

In the condemnation of porn, there is contempt for class, contempt for the popular viewer who is devoid of free will and reflexivity. Moreover, it is called a consumer, not a spectator, like a receptive machine, without the capacity to judge, to take a critical distance. However, I believe that the construction of our erotic imaginations, of our fantasies, is much more random and fragile than a simple reaction to pornographic objects.

"Pornography does not reflect the real world any more than it is a hypnotic call to action. The world of pornography is mythological, hyperbolic, populated with characters. It's a world that does not exist and will never exist, but it claims the right to a space devoted to fantasy" (L. Kipnis)

Carried by a pro-sex feminism (to understand : consensual sexuality as a tool of empowerment), including whores, HIV positiv person , queers, bdsm circles, pornstudies conceives pornography as a cultural object as legitimate as the others. In this movement, they began to produce an engaged and militant pornography, a politicized porn that questions norms (aka postporn).

 

Now, I have the impression that pornography landscape is split in two: on the one hand, the good alternative, artistic, scholastic and engaged porn that we watch in art cinemas between queer 3.0 and university lecturer, and on the other hand the tasteless, misogynistic, hetero white cis mainstream porn that is not worthy of serious criticism, the one that we watch in creepy, dirty porn theaters.

I don't want to position myself. Porn doesn't have to be moral or exemplary. Let's let the Civics classes take care of that. Porn cannot be resolved to the ideological reproduction of patriarchy, to misogyny, to social decadence, or, on the contrary, be a simple political manifesto, an anti-capitalist essay, a transitive message. Porn has real expressive power. Its power lies as much in the fact of shocking, marking, transgressing, moving glances, splitting eyes, as in accompanying, pushing to action, inspiring, giving envy. This is how porn can revolutionize our imaginations. 

Porn is plural, and the diversity of the films I saw at the San Francisco Porn Film Festival opened me up to new ways of telling stories, of staging our sexualities. I felt many different emotions, such as tenderness, love, excitement, tension.

Into the Flesh by Montiel appears at first glance as a rather conventional straight film. However, the play of warm colors and body sounds make it a very tender, and ultimately rather exciting film. We project ourselves in the complicity of the couple, in their gentleness, because the music doesn't take up too much space (I've seen some films where the music covers, suffocates the bodies, and prevents us from projecting ourselves into their intimacy).

 

In The abduction of Evalina of Jaysen Drake, there is a lot of emotion in the interaction between the two protagonists. Scenes of strangulation or penetration are interspersed with scenes of laughter, and it's rare. And the moment when he eats the dicklit is magical. 

Ivan Sobris' film, drawing nudes, has the same tenderness and benevolence. River Wilson shows off and jerks off in front of a boy who draws his portrait.  There is truth in this film, something very real, and a lot of romance at the same time.

Side of a lake, by Paul Stümke, plunges us into the soundscape of a forest at the end of summer, where three characters masturbate at different places on the edge of a lake. It's a pastoral tale, a dyke version, which sounds like a founding story. It reminds me a bit of Cadinot's films, and his sexual countryside scenes.

The presence of the landscape is also very marked in magnanimous Paisa, by Graham Kolbeins (visible for free here: grahamkolbeins.com/dorian-wood). It is a very delicate love song, which mixes botanical scenes in the olive trees and castors seeds with the infinite tenderness of two bodies caressing each other (Dorian Wood and Manuel Rodrigues). It is very moving.

In the series of landscape porn, there is also Pansexual Public Porn by Del lagrace volcano, shot in 1998. Together with his transgender friend Hans Scheirl, they do hardcore sex scenes in different outdoor cruising areas in the UK, such as a park in London, or dunes. These cruising spaces are places of emancipation, openness and freedom - little utopias where all genres and sexualities mix. It sounds like a holiday film.

I also remember Robert + Dylan from Dylan meade, where, at the beginning of the film, a motor-handicapped man (played by activist and screenwriter Robert Softley Gale) quietly watches a guy peeing from his wheelchair and ends up sucking his dick. One of the most exciting scenes of the festival.

Finally, I was particularly marked by two films. Shattered by Salty Cheri and Tape Loop by Doxytocine and Theo Meow.

Shattered features actresses Manon Praline and Caritia in a game of domination around light bulbs. It is at the same time sober, sincere, and very controlled. The light bulbs create an immense tension: they break, swallow each other, crush each other, we dread the moment when they burst. There is an immense complicity between the two actresses, almost vertiginous: one really wonders how far they will take their acting.

Tape Loop is the film that impressed me the most. A woman follows the instructions of a tape she found in an envelope. She then indulges in some sort of solitary s/m session, following the commands she hears in the machine, like sucking deeply on the neck of a wine bottle after drinking it whole, or strangling herself with her pantyhose. This film fascinates me and frightens me at the same time.

If you would like to see these films, and the others I won't quote:

pinklabel.tv/on-demand/?genre=best-of-san-francisco-pornfilmfestival%2E

I come out of this festival with the damn desire to continue filming, to deploy imaginations, to experiment. I would like to thank the festival team very much.

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